Après avoir tué et arrêté des milliers d’opposants civils et militaires, le général Saïd Chengriha (80 ans) reste le dirigeant effectif d’un pays toujours sous la coupe de l’armée depuis son indépendance au début des années 1960… Le général Chengriha est parvenu au rang suprême en Algérie, celui de « seigneur de l’Algérie », titre que les dirigeants du pays se décernent à eux-mêmes pour signifier qu’ils ont atteint le stade de la divinité en Algérie et qu’ils contrôlent le destin du peuple : le général tue qui il veut et laisse vivre qui il veut.
Depuis six ans, l’Algérie n’a qu’un seul président et leader véritable, et ce n’est pas Abdelmadjid Tebboune, élu lors d’un scrutin truqué et controversé. Le seul commandant de l’Algérie s’appelle Saïd Chengriha, ce dernier, chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, s’est imposé depuis l’assassinat du général Gaïd Salah et est devenu le visage découvert du régime. Il n’hésite pas, chaque soir lors des journaux télévisés, à donner des ordres, distribuer des réprimandes et lancer des menaces dans des discours prononcés devant les soldats à l’occasion de telle inauguration, de telle cérémonie ou de tel anniversaire.
Jamais, depuis l’époque de Houari Boumédiène (qui a dirigé le pays de 1969 à 1978), un homme n’a concentré autant de pouvoir et de force, bien que le général Saïd Chengriha ne possède ni la légitimité révolutionnaire, ni l’historique, ni le charisme de son lointain prédécesseur. En réalité, il incarne la transformation de l’armée algérienne, sortie chancelante de la guerre d’indépendance, en une institution puissante, sûre d’elle-même et d’une richesse obscène, contrairement à Boumédiène et aux présidents Chadli Bendjedid (1979-1992) et Liamine Zéroual (1994-1999), eux aussi issus de l’armée, Saïd Chengriha a toujours préféré œuvrer dans l’ombre derrière un pouvoir civil qui n’est qu’une façade, comme ce fut le cas durant les dernières années de l’ère du président algérien précédent, Abdelaziz Bouteflika.
S’il n’a pas la « majesté » de Boumédiène, il se distingue par la brutalité qui caractérisait ses prédécesseurs généraux Nezzar, Mediene, Belkheir et Lamari… les « décideurs » qui se sont illustrés dans les années 1990 et qui sont montés au premier plan après la répression des manifestations d’octobre 1988, puis ont destitué Chadli Bendjedid, jugé trop mou à leurs yeux, et annulé les législatives de janvier 1992 que la « Front islamique du salut » allait remporter. Ces mêmes « décideurs » mèneront une guerre sale pour éliminer les groupes islamistes, à laquelle le général Chengriha participera activement dans les massacres, lui qui était surnommé le boucher de la décennie noire et qui a tué environ 200 000 personnes.
Aujourd’hui, après la réélection de Tebboune l’an dernier sans même une campagne électorale, et après que le général Chengriha est devenu vice-ministre de la Défense, ce dernier a lancé sa contre-offensive contre les hauts généraux de l’armée et les services de renseignement : des dizaines de généraux ont été arrêtés et tués, des milliers mis à la retraite. Ses adversaires n’avaient pas anticipé le coup et ne souhaitaient d’ailleurs pas l’affronter. L’appareil a été démantelé et réparti entre la présidence et l’état-major, ne laissant plus que deux pôles de pouvoir : la présidence et l’armée. Pour consolider sa position et sécuriser son avenir, le général Chengriha s’est mis à acheter les loyautés à prix d’or, mais la demande de pétrole algérien s’est effondrée brutalement, relançant la guerre des généraux qui conduira le pays à une nouvelle décennie noire.